Il souhaite vivement voir son pays intégrer l’Alliance des Etats
du Sahel (AES). Mais attention ! Pas avec les autorités actuelles du Tchad
qui reçoivent, dit-il, « des ordres de Paris » et qui s’évertuent
« à instaurer un pouvoir dynastique ». Il y a donc des réglages préalables
à faire : permettre au peuple tchadien de choisir librement ses
dirigeants. C’est le maillon manquant car, pour lui, le peuple tchadien est
déjà du côté des peuples de l’AES. La CEDEAO ? Une sorte de machin si l’on
en croit Abakar Assilek Halala : « Au
regard de la défiance, de l’injonction étrangère par l’entremise de la CEDEAO,
les membres de l’Alliance n’avaient d’autres choix que de se retirer de cette
organisation ». L’heure des grands défis a désormais sonné, dit-il dans
cette interview. Les Etats de l’AES doivent « réinventer leur avenir ».
Et à ce sujet, l’opposant politique tchadien, président du parti « Marche
des patriotes pour la renaissance du Tchad », donne des pistes. Il invite
aussi les peuples du Sahel à soutenir leurs dirigeants : « Ces Chefs
d’Etat ne font pas seulement face à des terroristes. Derrière ces terroristes,
il y a des Etats puissants qui veulent maintenir les Etats du Sahel dans la
servitude, la dépendance. L’AES mène une lutte pour toute l’Afrique », affirme-t-il,
avec insistance. Et ce n’est pas tout.
Courrier
confidentiel : Le Burkina Faso, le Mali et le Niger se sont retirés,
avec effet immédiat, de la CEDEAO. Comment appréciez-vous cela ?
Abakar Assilek Halala : Depuis
que la charte instituant l’Alliance des Etats du Sahel a été instituée, le
retrait de ces pays de la CEDEAO était un processus irréversible. Les trois
Etats ont ainsi décidé de sortir de cette dépendance politique et de lutter
pour leur dignité et leur essor économique. Selon moi, il s’agit d’un processus
normal. En effet, au regard de la défiance, de l’injonction étrangère par
l’entremise de la CEDEAO, les membres de l’Alliance n’avaient d’autres choix
que de se retirer de cette organisation. Il est clair que la CEDEAO s’est
écartée et même éloignée de ses fondamentaux, assister par exemple ses Etats
membres en cas d’attaque. Nous constatons qu’elle a plutôt œuvré à déstabiliser
les Etats du Sahel.
Selon certains analystes, une telle option pourrait compliquer
la libre circulation des personnes et des biens, jusque-là garantie par la
CEDEAO. Cette option vous parait-elle la bonne ?
Il est normal
que des analystes donnent leurs avis. Mais il y a aussi l’instinct de survie. Les
Etats de l’AES n’ont pas d’autre choix que de s’unir. Il s’agit d’un instinct
de survie. Car, bien avant, la libre circulation des personnes et des biens
n’était pas vraiment effective. Si vous prenez l’axe Niamey-Ouagadougou, vous
verrez une vingtaine de check-points où les voyageurs sont rackettés. Les
frontières du Liptako Gourma étaient pratiquement devenues des passoires pour
les terroristes qui pouvaient ainsi aller d’un pays à un autre. Ils attaquaient
le Mali et ils se repliaient au Niger et vice-versa. Il était donc temps pour
le Burkina Faso, le Mali et le Niger de se donner la main. Car, jusque-là, la
CEDEAO n’a pas joué le rôle qui lui a été assigné de par le passé, notamment la
solidarité entre Etats, sécuriser les frontières et œuvrer à l’intégrité des
territoires des pays membres, notamment ceux de la nouvelle AES. Elle n’a pas
non plus véritablement œuvré à inciter les Etats membres à l’émancipation de
leurs populations dans le domaine commercial. Il s’agit d’un échec.
Comment, à votre avis, ces trois Etats pourraient-ils se
réinventer et construire un dispositif économique et politique fort et au
service des populations ?
La réinvention
politique et économique des Etats de l’AES implique un engagement pour la
stabilité politique, la bonne gouvernance et le développement économique
durable. Ces Etats pourraient explorer des partenariats régionaux alternatifs,
renforcer leurs institutions, promouvoir l’investissement local et diversifier
leur économie. Une participation accrue des citoyens dans le processus
décisionnel et une approche inclusive pour résoudre les défis socio-économiques
et ainsi contribuer à construire des dispositifs plus forts au service des
populations.
Ce retrait de la CEDEAO pourrait sonner le report des élections
initialement prévues par ces trois Etats, tous dirigés par des militaires. La
CEDEAO tenait pourtant absolument au « retour à l’ordre
constitutionnel ». Cela pourrait-il engendrer, selon vous, un recul
démocratique ?
Dans ces trois
Etats dirigés par des militaires, il faut rappeler que ces pouvoirs émanent du
peuple de ces pays. J’ai visité récemment le Burkina Faso. Dans différents
ronds-points de la ville, il y a des jeunes appelés les « Wayignan ».
Ce sont des lanceurs d’alertes qui protègent leur révolution si j’ose dire.
Certes, les
militaires actuellement au pouvoir dans ces pays sont arrivés il n’y a pas très
longtemps. Au Mali, le Colonel Assimi Goïta est arrivé il y a quatre ans. Le
Capitaine Ibrahim Traoré, lui, est arrivé au pouvoir le 30 septembre 2022. Du
côté du Niger, le Général Abdourhamane Tiani est là depuis le 26 juillet 2023.
Ces Etats ont promis d’organiser des élections libres et transparentes. Mais
pour de telles élections, il faut que certaines conditions soient réunies.
D’abord, il faut assurer la sécurité des populations sur ces territoires. Mais
comme vous le savez, ces Etats sont menacés par des terroristes qui se
déplacent d’un territoire à un autre. Il faut donc laisser le temps aux
militaires de sécuriser d’abord le pays. Ils pourront ensuite organiser les
élections.
Concernant le « recul
démocratique » dont vous parlez, il y a du deux poids deux mesures. L’Union
africaine et le Conseil de paix et de sécurité des Nations unies ont fait des
reproches à ces trois Etats. Et au même moment, la CEEAC, alors dirigée par
Etienne Tshisekedi, président de la RDC, est allé au Tchad installer un
Président qui n’est pas issu d’élections et le protéger jusque-là. De ce fait,
nous demandons aux populations des Etats de l’AES de faire confiance à leurs
dirigeants. La priorité, c’est de sécuriser ces pays. Des élections libres et
transparentes seront organisées ensuite. J’interpelle également nos frères
militaires d’éviter de confisquer le pouvoir pour quelque raison que ce soit.
La Charte de l’Alliance des Etats du Sahel prévoit l’adhésion
d’autres Etats qui s’inscriraient dans la même dynamique. En tant qu’acteur
politique, comment votre pays, le Tchad, pourrait-il rejoindre l’AES ?
En tant
qu’acteur politique, en tant que Sahélien, je suis Burkinabè. Quand le
territoire de mon pays est attaqué, je dois le défendre. Mon appartenance au
Sahel m’oblige à porter assistance à mes frères Burkinabè en danger, confrontés
aux attaques terroristes. Nous savons tous que ces attaques ont des injonctions
extérieures. La preuve, nos frères du Mali ont débouté ces terroristes de Kidal
et il y a eu des preuves suffisantes pour attester de l’ingérence extérieure.
Comment le Tchad pourrait-il rejoindre l’AES ? Le pouvoir actuel au Tchad
est une suite logique d’un pouvoir de père à fils. Feu Idriss Déby Itno avait
été installé par la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), le
service de renseignement français, dans les années 1990. Suite à sa mort ou son
assassinat, le 18 avril 2021, le Président français s’est déplacé avec le
président de l’Union africaine à l’époque, pour installer son fils Mahamat Déby
Itno. Donc un pouvoir monarchique, du père au fils.
Nous pensons
que ce régime, qui reçoit ses ordres de Paris, et qui reçoit tous les
militaires que l’Afrique ne veut pas, n’est ni cohérent, ni légitime pour aider
les frères du Sahel. D’ailleurs, le contingent tchadien qui était à Kidal, au
Nord-Mali, a suivi les troupes françaises et a quitté le territoire malien. Si
les autorités tchadiennes actuelles sont pour la lutte de l’AES, elles ne
devraient pas quitter Kidal, être solidaires avec la France, et quitter le
territoire malien pour le Tchad. Le peuple tchadien peut être du côté du peuple
de l’AES mais pas ses autorités actuelles qui reçoivent leurs ordres de Paris.
Un opposant historique, l’un de vos anciens compagnons de lutte,
Succès Nasra, a été installé, il y a quelques mois, dans le fauteuil de Premier
ministre au Tchad, suscitant des commentaires controversés. Est-il, à votre
avis, l’homme de la situation ?
Le qualifier
d’opposant historique, c’est discutable. Nous sommes sur le terrain politique
depuis presqu’un quart de siècle. Le camarade Succès Nasra a certes rejoint
l’opposition, amené de l’audace, changé les habitudes, faire bouger les lignes,
mais il est bon de rappeler que lors des évènements du 20 octobre 2022, plus de
300 Tchadiens sont morts. Des Tchadiens qui ont osé dire non à la prolongation
de la transition militaire. La junte, dirigée par le fils d’Idriss Déby,
Général de son Etat, avait, à son arrivée, donné sa parole qu’elle cèderait le
pouvoir après 18 mois. La population avait donc manifesté contre la
prolongation envisagée. Ces manifestations se sont tenues à l’appel des
« Transformateurs » de Succès Nasra et de la société civile. Le Tchad
a eu un « 20 octobre noir » où plusieurs de ses fils ont été tués.
Certains ont également été enlevés et d’autres portés disparus. Par la suite,
le camarade Succès Nasra a quitté le pays. Il était en exil. Lors de son
passage à Paris, puis à Kinshasa, il y a eu un deal entre lui, Paris et le fils
de Idriss Déby. Le camarade Nasra a fait un choix en rentrant pour aider à la
succession dynastique qu’il avait, de par le passé, condamné. Il avait
notamment affirmé qu’ « on ne peut pas réformer une dynastie mais on
se sépare d’une dynastie ».
On peut donc
dire que c’est l’homme de la situation pour aider la politique françafricaine à
continuer à s’émanciper. Mais ce n’est pas l’homme de la situation de cette
Afrique qui veut sortir de ce cadre françafricain, du pré-carré français et qui
luttera pour sa souveraineté et son émancipation politique. Mahamat Idriss Déby
et Succès Nasra sont les deux revers de la monnaie françafricaine au Tchad.
Comme vous l’avez dit, après le long règne de Déby-père à la
présidence tchadienne, Déby-fils est aux commandes de la nation depuis quelques
années. Comment sortir de cette dynastie en gestation ?
C’est un long
règne. Idriss Déby Itno a pris le pouvoir en 1990 et il a été tué le 18 avril
2021. Il a passé presque 31 ans au pouvoir. Feu Déby et son système étaient,
dans la région, à la fois pyromane et pompier. Déby a toujours été le fer de
lance de la politique française dans la sous-région et au-delà. Pour nous,
malgré que le pays exploite son pétrole depuis 2003, au moment où nous parlons,
de nombreuses zones, en dehors de la capitale, n’ont presque pas d’eau potable,
presque pas d’électricité. Mais de cela, on ne parle pas ! C’est, en
réalité, un pouvoir de père qui a régné par une main de fer. Certains de ses
opposants ont été liquidés. Ibni Mahamat Saley, un chef de parti politique
pacifiste, par exemple, a été tué à dans la capitale. C’est donc un régime qui
a toujours été soutenu, du fait de la propagande, malgré qu’il n’ait pas gagné,
à notre avis, les élections. Les urnes ont été truquées avec la complicité de
Paris. Suite au décès de Déby-père, la France, au lieu de laisser les Tchadiens
trouver le cadre idéal pour une alternance, a accepté et encouragé une
succession dynastique. Le peuple ne veut pas de ce régime. Il a boycotté le
référendum relatif à la nouvelle Constitution. Mais du fait de la complicité de
Paris et de Ndjamena, ils ont parlé de 86% de « Oui » à cette
constitution. La majorité des Tchadiens a demandé la forme de l’Etat fédéral mais
le régime a imposé l’Etat unitaire fortement décentralisé. Nous cheminons ainsi
inéluctablement vers une élection du fils de Déby. Comment faire pour s’en
détacher ? Il faut lutter. Seule la lutte libère ! Nous invitons donc
le peuple tchadien à lutter. Car, comme le dit notre hymne national, « ta
liberté naitra de ton courage ! ». Il n’y a que la lutte qui puisse
libérer notre peuple.
Avez-vous autre chose de particulier à dire pour terminer cette
interview ?
En tant que
panafricain, j’invite les Africains à aider les Etats du Sahel, à être à leurs
côtés. Ces Etats luttent contre le terrorisme. Si l’Afrique a été capable de
s’unir pour libérer la France lors des deux guerres mondiales, pourquoi ne
serait-elle pas capable de s’unir et de bouter le terrorisme hors de l’Afrique ?
J’invite aussi mes frères Burkinabè, Maliens et Nigériens à être indulgents et
de comprendre leurs Chefs d’Etat, les Chefs de Transition, et de les aider à
finir cette mission qui n’est pas une tâche facile. Ces
Chefs d’Etat ne font pas seulement face à des terroristes. Car derrière ces
terroristes, il y a des Etats puissants qui veulent maintenir les Etats du
Sahel dans la servitude, la dépendance. L’AES mène donc une lutte pour toute
l’Afrique. Quels que soient les discours politiques, je peux dire que les
peuples africains sont de tout cœur avec le Mali, le Niger et le Burkina Faso.
J’invite tous les jeunes, tous les hommes politiques à apporter leur soutien
sans faille au jeune capitaine Ibrahim Traoré. Car la tâche n’est pas facile et
la barre est haute. Et en plus, c’est le pays de Thomas Sankara. Ce dernier a
été un visionnaire qui a tracé ses sillons et nous en sommes fiers.
Aujourd’hui, le Capitaine Ibrahim Traoré a emboité le pas de Thomas Sankara.
C’est ainsi que les Etats inventent leur avenir. Laissons de bonnes actions
pour nos enfants. La lutte actuelle est une lutte de libération pour l’Afrique.
Propos recueillis par Hervé
D’AFRICK
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