Mais qui sont ces terroristes qui s’en prennent, de plus
en plus, aux populations civiles ? Le gouvernement continue de pointer le
doigt sur ceux qu’il qualifie d’«hommes armés non identifiés». Pourtant, il
sait bien de qui il s’agit.
Des négociations ont
bel et bien été engagées, dans le dernier trimestre de 2020, avec l’un des
groupes terroristes les plus redoutables dans la région du Sahel, le Groupe de
soutien à l’Islam et aux musulmans - GSIM. Elles ont été conduites par l’Agence
nationale de renseignements (ANR). «Quelques chefs militaires burkinabè y ont
participé». Des Maliens et un ex-Colonel tchadien faisaient également partie de
la délégation burkinabè. Les concertations se sont déroulées en deux phases.
«La première a eu lieu en octobre 2020. Elle a duré pratiquement deux mois. Il
s’agissait de convenir d’un pacte de non-agression afin de permettre à notre
pays d’organiser les élections présidentielle et législatives sans incidents
majeurs, sans attaques terroristes», indique une source proche de l’ANR. La
deuxième phase, qui a débuté en décembre 2020, a duré quatre mois. Plusieurs
rencontres ont été organisées pendant cette période. Les échanges se sont déroulés
sur le territoire burkinabè. Mais loin de la capitale : dans les régions
de l’Est, de l’Ouest et du Nord. Selon nos sources, la mission s’est déroulée
dans la plus grande discrétion. Pour lui donner toutes les chances de réussite,
dit-on, certains hauts responsables militaires et sécuritaires n’ont pas été
directement impliqués. Le projet de négociation a été porté par l’ANR et la
haute sphère de la présidence du Faso. «Le ministre de la Défense, Chérif Sy,
n’était pas vraiment au courant. Son avis a été requis des mois plus tôt, mais
au moment où se déroulaient les concertations, il n’a pas été associé. Le
patron de la Sécurité, Ousséni Compaoré non plus. Il a été complètement tenu à
l’écart», explique-t-on dans le premier cercle de l’ANR. Même le Chef
d’Etat-Major général des armées, Moïse Miningou, n’a pas été directement
impliqué. «Il a simplement reçu l’ordre, peu avant les négociations, de
suspendre les opérations militaires en direction des groupes terroristes jusqu’à
nouvel ordre. Mais instruction a été donnée aux troupes burkinabè d’observer
une veille permanente. Après le conclave, le CEMGA, comme on l’appelle dans le
milieu militaire, a été informé qu’il pouvait reprendre les opérations».
Ces «approches» avec
le GSIM ont abouti à des décisions majeures. Il a été convenu que les
terroristes n’attaquent ni les convois, ni les positions militaires burkinabè.
De même que les populations civiles. La partie burkinabè s’est, elle aussi,
engagée à ne lancer aucune offensive contre les éléments du GSIM». Mais il n’y
a pas que ça. Les terroristes ont exigé la libération de certains de leurs membres
alors détenus à la Prison de haute sécurité. La partie burkinabè a accédé à
cette requête. Plusieurs personnes arrêtées et poursuivies pour des faits de terrorisme
ont ainsi été libérées «par petites vagues». Cette information est confirmée
par d’autres sources sécuritaires bien imprégnées du dossier. Dans le lot des
personnes libérées, deux grosses têtes du GSIM chargés des opérations de
terrain : Abdoulaye Sékou Diallo et Oumarou Diallo. Le premier, qui serait
de nationalité malienne, avait été arrêté lors d’une attaque au Burkina, détenu
à la gendarmerie nationale avant de s’évader en juillet 2019. Les gendarmes
avaient alors lancé un avis de recherches avec la mention «Wanted». Et dès le
lendemain, cet homme, qui semble avoir bénéficié de complicités pour son
évasion, est retombé dans le grappin des forces de sécurité. «Oumarou Diallo,
lui, était très actif dans la région de l’Est. Son activité phare : recrutement
et formation de groupes terroristes», précise-t-on de sources proches des
services de renseignements.
De l’argent a
également été injecté dans ces négociations. Ces fonds, dont le montant ne nous
a pas été précisé, devait être transmis, par la suite, à la partie adverse.
Mais «cet argent» aurait suscité des appétits du côté des porteurs de valises. Selon
nos informations, les fonds n’ont pas été transmis intégralement comme convenu.
Une partie aurait servi à alimenter le «circuit» qui a permis d’aboutir au GSIM
et à faciliter les négociations. En clair, des «intermédiaires» ou supposés
tels ont eu leur part du gâteau dans une cagnotte qui ne leur était pas destinée.
Cela a naturellement créé une brouille entre les parties prenantes du pacte de
non-agression.
Ainsi, l’accalmie
observée depuis pratiquement six mois a commencé à se fissurer. «Surtout à
partir du mois d’avril 2021 où les terroristes se sont montrés de plus en plus
présents sur le terrain. Allant même jusqu’à diffuser des vidéos de leurs
escapades afin de narguer la partie burkinabè». Quelques temps avant, le
ministère de la Défense, qui suit de près les mouvements terroristes, avait
réalisé que «certains terroristes, libérés de la prison de haute sécurité suite
aux négociations, avaient repris les armes. Ils ont été clairement identifiés»,
confie un haut cadre du ministère de la Défense. Ils ont participé à des
attaques et à des exactions. Et ils sont visiblement décidé à semer la terreur.
Le Burkina semblait
pourtant, au début, tenir la bonne carte. «Nous ne pouvons pas indéfiniment
continuer dans la guerre», nous avait affirmé, il y a quelques mois, un haut
responsable de la Défense nationale. Pour lui, «négocier avec les terroristes»
faisait bien partie de la stratégie du Burkina pour sortir du «bourbier». «Nous
avons perdu trop d’hommes», avait-il confessé. Avant d’admettre que le
processus est en marche. Et dans ce cadre, l’un des éléments clés des groupes
terroristes, chargés notamment des questions de logistique, avait souhaité la
libération de son père détenu à la prison de haute sécurité. Nous avons appris,
plus tard, qu’il a été libéré dans le cadre des négociations.
Selon des sources proches
de la présidence du Faso, le chef de l’Etat a tenté de préparer les esprits
avant d’engager, de façon pratique, les concertations avec le GSIM. En juillet
2019, alors que la spirale de la violence endeuille le pays, il instaure un
«dialogue politique» et pose clairement les «sujets chauds» de la nation sur la
table de discussion. Un bout de phrase, contenu dans le rapport final du
«Dialogue politique», tenu du 15 au 22 juillet 2019, permettra de créer le
déclic et d’obtenir officiellement une couverture politique. Les participants,
après avoir relevé une «recrudescence des attaques terroristes en 2018 et
2019», ont insisté sur la nécessité de «faire usage des moyens diplomatiques en
faisant recours à des personnes expérimentées en complément des autres moyens
de lutte». C’est écrit à la page 22 du rapport général. La suite, on la
connait. Des relations ont été «diplomatiquement» nouées avec le GSIM grâce à
des intermédiaires maliens et tchadien. Mais un problème d’argent a envenimé
l’atmosphère. Autre gros problème : la présence, sur le terrain, des Volontaires
pour la Défense de la Patrie (VDP) a énormément gêné le processus. «Ils sont
armés et les terroristes pensent que ces armes proviennent des populations»,
apprend-on dans les sphères du ministère de la Défense. «Ces deux composantes
sont, du coup, devenues assez souvent les cibles d’hommes armés non identifiés».
Dans la nuit du 5 juin, le constat était implacable : les assaillants ont
d’abord attaqué le poste des VDP avant de s’acharner sur les populations
civiles. Laissant, sur le carreau, plus de cent morts.
Par Hervé D’AFRICK