Séjour en toute impunité de Blaise Compaoré au Burkina : Damiba flingue son pouvoir !

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Séjour en toute impunité de Blaise Compaoré au Burkina : Damiba flingue son pouvoir !

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En faisant venir Blaise Compaoré (condamné à vie dans le dossier Assassinat du président Thomas Sankara et 12 de ses compagnons) à Ouagadougou pour 48h, le président Damiba fait un grand saut dans la boue de l’impunité. Déjà fragilisé par son incapacité à juguler l’expansion des groupes terroristes, il a mis à terre, par son geste, le peu de légitimité dont disposaient encore les organes de la Transition (gouvernement et Assemblée législative). Analyse.

 

Les choses sont allées très vite, comme s’il s’agissait d’une course contre la montre. L’annonce officielle de la venue de Blaise Compaoré a été faite à l’issue du Conseil des ministres du 6 juillet. Et le 7 juillet, il est arrivé. Mais l’information sur la date de son arrivée n’était pas connue. Un doute planait sur le jour de son atterrissage à Ouagadougou, après huit années d’exil. Pour preuve, dans sa communication, le porte-parole du gouvernement, Lionel Bilgo, a déclaré que ce serait «probablement en fin de semaine». Il est donc resté évasif sur la question. C’est plus tard, dans la soirée, que les Burkinabè auront la confirmation par un communiqué sur la page facebook de la Présidence du Faso, après les folles rumeurs qui avaient envahi la toile, annonçant Blaise Compaoré dans la capitale burkinabè pour le lendemain 7 juillet. Et c’est bien le tweet du correspondant de RFI au Mali, Serge Daniel, devenu pour la circonstance l’attaché de presse de la famille Compaoré, qui a obligé la présidence burkinabè à produire son communiqué officiel. Le gouvernement ivoirien a aussi mis mal à l’aise l’équipe de Damiba avec laquelle le retour de Blaise Compaoré a été préparé. En effet, à la sortie du Conseil des ministres ivoirien, son porte-parole a affirmé sans nuance que leur hôte se rendra à Ouagadougou le lendemain pour quelques jours. Cette annonce a mis une énorme pression sur Damiba, l’obligeant à produire son communiqué officiel. Visiblement, le président de la Transition burkinabè ne voulait pas que certaines précisions sur la venue de son « parrain » soient connues. Il nous revient que même les ministres ont été tenus à l’écart du dossier et de toutes les informations y relatives jusqu’à la dernière minute. Certains ministres affirment qu’ils ont reçu l’information de la venue de Blaise Compaoré par sms. Quant à l’Assemblée législative de Transition, à part son président, elle a été royalement ignorée. Ce dernier n’a pas non plus jugé utile d’informer les députés par quelque canal que ce soit. Les députés de l’ALT qui pensent être les représentants du peuple dans cette Transition ont suivi comme tout le monde l’évolution de cette actualité à travers les médias et les réseaux sociaux. Avec cet événement, on voit le peu d’intérêt que les putschistes accordent aux organes de la Transition qu’ils ont mis en place. Ces organes ont été totalement marginalisés comme s’ils étaient là, juste pour le décorum. 

 

Bras de fer avec la justice

 

L’opération « Blaise comeback » dans l’impunité a surtout braqué les acteurs de la justice contre le pouvoir de la Transition. En procédant comme il l’a fait, le chef de la junte manifeste une vilaine défiance à la justice de son pays. Tous les grands acteurs de cette justice ont exprimé leur préoccupation et leur condamnation de ce coup de force anticonstitutionnel qui confine à un «gangstérisme» à la tête de l’Etat. De l’intersyndical des magistrats au Conseil supérieur de la magistrature (CSM) en passant par le syndicat des avocats du Faso (SYNAF), tous ont été très choqués par cette scène ubuesque où un chef d’Etat ayant prêté serment de respecter et de faire respecter la constitution et les lois du pays, de garantir la justice pour tous, décide de dérouler le tapis rouge à un condamné de justice sur qui pèse un mandat d’amener. C’est une première dans l’histoire politique et judiciaire du Burkina. On sait que tous les pouvoirs politiques ont tendance à vouloir ruser avec la justice de leur pays mais ils le font avec les failles ou les ambiguïtés que leur offre l’arsenal juridique de leur pays. Sous le pouvoir de Blaise Compaoré, la justice a été maintes fois instrumentalisée soit pour condamner des adversaires politiques, soit pour protéger des proches. Il y a de nombreux cas dont les plus emblématiques sont l’affaire Ernest Nongma Ouédraogo en 1995 (inculpé et condamné en catimini pour avoir dénoncé le luxueux palais de Ziniaré) et l’affaire David Ouédraogo où tout a été mis en œuvre pour épargner à François Compaoré et à son épouse l’inculpation dans ledit dossier. Les Burkinabè savaient que la justice était sous les ordres du pouvoir exécutif qui orientait ses décisions dans le sens qui lui était favorable. C’est au regard de ce passif que la Transition de 2014 a consacré l’indépendance totale du pouvoir judiciaire par rapport au pouvoir exécutif. C’est le fruit de ce combat de longue date que Damiba vient de fouler au pied sous le prétexte de la « réconciliation nationale », un concept qui finira par ne plus avoir de sens au Burkina tant il est galvaudé par certains acteurs politiques. En empruntant ce chemin de la défiance de la justice, Damiba et ses complices s’exposent à d’éventuelles poursuites judiciaires après la Transition. Ils plombent également leur projet de retour définitif de Blaise Compaoré au Burkina. On imagine mal la justice rester passive très longtemps sachant le domicile qui héberge Blaise Compaoré au Burkina Faso. Elle perdrait toute crédibilité si elle n’agissait pas pour amener le fugitif à la Maison d’arrêt et de correction de l’armée (MACA) où croupissent ses complices dans l’assassinat du président Thomas Sankara et de ses compagnons le soir du 15 octobre 1987. Mais le danger immédiat que court le pouvoir de Damiba, c’est celui de la rue.

 

Un pouvoir sur des béquilles

 

Le séjour de Blaise Compaoré à Ouagadougou dans l’impunité totale avec la complicité active du pouvoir de la Transition a permis de mettre en lumière le véritable agenda des putschistes. Les Burkinabè sont désormais fondés à croire que le véritable mobile du putsch n’est pas la situation sécuritaire mais la restauration des acteurs politico-affairistes au pouvoir. Les souffrances des populations n’étaient qu’un prétexte pour faciliter l’usurpation du pouvoir. Pour preuve, ils ne semblent pas faire de la restauration de l’intégrité territoriale leur priorité. Les premiers acteurs du putsch sont dans les bureaux climatisés à Ouagadougou avec des salaires faramineux. Ils jouissent allègrement du pouvoir avec leurs amis civils qui sont nommés à chaque Conseil des ministres. Pendant ce temps, les terroristes volent de victoire en victoire, massacrant les populations, vidant les localités de leurs habitants, multipliant chaque semaine le nombre de déplacés internes, rétrécissant la portion du territoire sous le contrôle de l’Etat. 

Sur le plan politique, le pouvoir actuel repose uniquement sur le soutien timide du parti de Blaise Compaoré. Or, on sait que ce parti est fractionné en deux ailes qui se livrent un combat sans concession pour le contrôle des instances. Compter exclusivement sur un tel parti en décomposition, c’est courir le risque de tomber au moindre coup de vent. Il n’est pas exclu que les putschistes se tournent vers d’autres partis pour les amadouer. Certains observateurs de la scène politique sont justement intrigués par le silence de l’Union pour le progrès et le changement (UPC) sur la «forfaiture» qui vient de se dérouler en mondovision. Ce parti a pourtant cultivé l’image d’un « parti républicain » qui défend les principes et les valeurs fondamentaux d’un Etat de droit démocratique. Visiblement, par son bruyant silence, il jette du discrédit sur ses véritables intentions concernant l’initiative de regrouper les partis politiques dans un cadre unitaire. Le comité des points focaux des partis anciennement représentés à l’Assemblée nationale, mis en place dans le cadre de la démarche de regroupement de partis politique engagée par l’UPC, n’a pas non plus pipé mot sur la violation flagrante de la décision judiciaire par le pouvoir de la Transition. L’UPC pourrait-elle être la deuxième béquille sur laquelle compte s’appuyer le pouvoir de Damiba ? Les jours à venir nous situeront certainement sur le positionnement des uns et des autres. C’est sûr que la participation ou non au futur forum sur la « réconciliation aux forceps » va définitivement clarifier les lignes politiques. En revanche, l’acte gravissime posé par Damiba en complicité avec le pouvoir ivoirien dont il semble être le vassal a accéléré le processus de regroupement des forces politiques et sociales qui se positionnent comme le contre-pouvoir du régime actuel. On a pu lire des déclarations émanant d’un Front patriotique composé de partis politiques (l’Alliance Ensemble pour le Faso, l’UNIR-MPS entre autres) et d’organisations de la société civile dont le Balai Citoyen, le Forum Ditanyé, le Cadre deux heures pour Kamita et bien d’autres. Ces organisations gagnent en légitimité pour contester le pouvoir en place, surtout qu’il donne lui-même un fouet supplémentaire pour se faire battre. Damiba met ainsi la survie de son régime en jeu. Des fronts pourraient se reconstituer comme en 2013 et 2014.

 

Ibrahima CABRAL



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