L’histoire
politique du Burkina Faso, indépendant depuis 1960, ne ressemble pas à un long
fleuve tranquille. En effet, différentes tempêtes socio-politiques ont secoué
notre navire depuis cette date. On peut citer, entre autres, le soulèvement de
janvier 1966, les régimes d’exception des années 1980, la crise socio-politique
des années 2000 consécutive à l’assassinat du journaliste Norbert Zongo,
l’insurrection d’octobre 2014, et enfin celle que nous vivons aujourd’hui.
A chaque
fois, divers mécanismes ont permis au système politique de rester résilient et
de rebondir. Par exemple, en 1966 la « Garangose » a permis
d’assainir les finances publiques et de résoudre la crise économique à
l’origine du soulèvement populaire en question. En 2000, la mise en place du
Collège de sages a contribué à une sortie de crise. En 2014, l’élaboration
d’une charte de la transition a facilité la conduite du processus vers
l’organisation d’une élection présidentielle en 2015. Chaque mécanisme retenu a
certes eu des limites, mais celles-ci n’ont pas empêché d’arriver à bon bord.
Ainsi, aujourd’hui nous devons nous poser cette question simple : quel
mécanisme transitionnel pour cette crise-ci ?
Notre réponse
à cette question est tout aussi simple : une transition civile,
c’est-à-dire pas une transition militaire, pas une transition civilo-militaire,
pas une transition civile militairement assistée ou une transition militaire
civilement assistée. Une transition civile tout court ! Nous avons écarté
l’idée d’une conférence nationale car celle-ci se caractérise généralement par
des joutes orales interminables.
La
nomenclature de cette transition civile devrait s’articuler autour d’un noyau
composé de personnalités jouissant d’une très grande respectabilité en termes
d’intégrité morale, de patriotisme, de professionnalisme. Ce noyau, dont le
nombre d’éléments ne devrait pas dépasser cinq, devrait se donner comme
principale tâche la désignation d’un président civil accompagné de son Premier
ministre. C’est donc dire qu’après avoir dressé le profil du président civil
voulu, le noyau devrait rechercher et recruter cet oiseau rare, dirais-je,
cette paire rare puisque chaque candidat devrait être accompagné de son colistier.
Le délai pour accomplir cette tâche de recrutement ne devrait pas dépasser un
mois. Une fois le président civil et son colistier recrutés, la charte de la
nouvelle transition pourrait être élaborée, et les forces vives du pays
pourraient proposer des représentants à une sorte d’assemblée législative
devant jouer le rôle du parlement durant la transition qui ne devrait pas
dépasser trois ans. Le tout, dans une atmosphère de check-and-balance, avec le noyau comme arbitre.
Ce modèle de
transition présente plusieurs avantages, mais il a aussi des limites. Comme premier
avantage, il va sans dire que s’il est adopté, il va sans doute départager le
lieutenant-colonel Damiba et le capitaine Ibrahim Traoré, en leur retirant
l’objet de leur dispute : le pouvoir politique. Ainsi aucune des deux
parties ne perd la face. Une fois que ces deux protagonistes ont accepté ce new deal politique, les esprits
actuellement surchauffés vont se calmer, en attendant de juger les acteurs de
la transition aux actes.
Parlant
d’actes, ces acteurs de la transition devraient avoir pour principe de base
l’obligation de résultat dans les délais qui leur seront impartis. Avec le
système de check and balance, chaque
acteur devrait être conscient que l’opinion publique attend de lui des
résultats probants. Cela signifie aussi que la transition civile se sera dotée
d’un agenda simple et clair, mais pas un agenda-fourre-tout pour paraphraser un
politologue burkinabè. Par exemple, vu l’état sécuritaire actuel du Burkina
Faso, la seule priorité de la transition civile doit être la lutte contre le
terrorisme, l’organisation des élections prochaines, la réconciliation nationale
et les revendications de type corporatiste venant au second plan.
Le troisième
avantage de cette transition civile est que ses principaux acteurs pourront
jouir d’une bonne base de légitimité, ce qui permettra d’amoindrir et/ou
traiter les conflits qui vont sans doute surgir lors de la phase de mise en
œuvre de la feuille de route de la transition. Si le travail est sérieusement
bien fait, le soutien de l’opinion publique nationale et internationale sera un
atout majeur pour les acteurs de cette transition.
Le quatrième
atout de ce modèle transitionnel est qu’il restaure la division naturelle de
travail au sein de toute communauté politique en vertu du principe selon lequel
le gouvernement politique aux civils, les militaires au front pour pratiquer
l’art de la guerre. Comme dans une pièce de théâtre bien mise en scène, chaque
acteur joue sa partition pour le bonheur des spectateurs. Cela suppose que les
acteurs de cette transition puissent, au bas mot, mettre l’intérêt général de
la nation burkinabè au-dessus de tout. Chacun doit accepter d’assumer sa part
de responsabilité.
C’est
pourquoi l’on devrait veiller particulièrement à ce que la transition civile ne
déraille pas. Il faut veiller à ce que la mise en œuvre de la feuille de route
de la transition ne s’écarte pas de son esprit. Par exemple, il ne faudra pas
que le système de check-and-balance
soit dévoyé en un système de règlements de compte personnels ou de luttes de
positionnement ou de repositionnement. En outre, l’inclusion doit être le
maître-mot. La transition civile devrait, en plus, être un processus autonome
échappant au contrôle des groupes. C’est la raison pour laquelle en concevant
le système de check-and-balance, il
faut impérativement tenir compte du contexte socio-politique propre au Burkina
Faso. Le système de check-and-balance
est, en effet, un système de collaboration forte et subtile entre les
différents acteurs du système politique pour l’atteinte d’un idéal : la
survie et la prospérité de la communauté politique. Et rien d’autre !
GUIATIN Jean-Baptiste,
Master of Arts in International Affairs, American
University, Washington, D.C.