L’actualité politique
nationale a de nouveau conduit à la suspension du procès des présumés auteurs
du coup d’Etat sanglant du 15 octobre 1987. Cette fois, l’arrêt momentané du
jugement est dû à la requête d’inconstitutionnalité soulevée devant le Conseil
constitutionnel par l’un des avocats de la Défense. Une patate chaude entre les
mains de la plus haute juridiction du pays en matière constitutionnelle. On
attend de voir comment elle va manœuvrer pour se sortir du pétrin dans lequel
elle s’est engluée depuis le 16 février dernier avec sa décision d’accepter la
prestation de serment du chef des putschistes, le Lieutenant-colonel Damiba.
Le
tribunal militaire de Ouagadougou peut-il juridiquement continuer le jugement
de personnes poursuivies pour « attentat
à la sûreté de l’Etat » (coup d’Etat en français facile) alors que le
Conseil constitutionnel vient de donner un sceau de légalité à un auteur de
coup d’Etat, en la personne du Lieutenant-colonel Paul Henri Sandaogo Damiba,
chef du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration
(MPSR) ? Comme on le sait, ce mouvement des forces armées a mis fin au
régime constitutionnel de Roch Marc Christian Kaboré le 24 janvier, à la suite
d’une mutinerie dans certaines casernes du pays. Il ne fait aucun doute pour
personne que le Lieutenant-colonel Damiba est le patron du pronunciamiento. On
l’a vu assis à droite du capitaine Sidsoré Kader Ouédraogo qui a lu la
proclamation du coup d’Etat. Il a prononcé son premier discours officiel à la
télévision nationale le 27 janvier et a pris de nombreux décrets affectant la
vie de la Nation. C’est suite à tous ces faits, gestes et actes que le Conseil
constitutionnel l’a invité le 8 février à bien vouloir se présenter devant lui,
le 16 février, pour une cérémonie de prestation de serment car selon lui, il y
a vacance du pouvoir depuis le 24 janvier suite à la « démission » du président du Faso
démocratiquement élu, Roch Kaboré. Pour combler cette « vacance du
pouvoir », il ne voit personne d’autre que le chef du MPSR qui s’est déjà
autoproclamé président du Faso, chef de l’Etat, chef suprême des armées. La
prestation de serment a effectivement eu lieu le 16 février dernier, ouvrant la
voie à de multiples controverses. Même ceux qui ont pris acte du coup d’Etat
comme le professeur de droit constitutionnel, Abdoulaye Soma, ont sévèrement
jugé cette décision des « sages »,
allant jusqu’à considérer qu’ils ont « tué
le droit, la démocratie et l’Etat de droit » au « pays des hommes
intègres ». Les avocats de la Défense ont pris le ballon au rebond.
Ils souhaitent que le Conseil constitutionnel confirme la « légalisation
du coup d’Etat » en déclarant que la charge d’«attentat à la sûreté de
l’Etat » n’est plus un crime qui peut amener ses auteurs devant les
tribunaux. Pour eux, cela serait très logique avec les différents actes que le
Conseil constitutionnel a posés ces derniers jours. En effet, en se prêtant aux
désidératas des auteurs du putsch du 24 janvier dernier, le Conseil
constitutionnel a offert un fouet pour bien se faire battre. Même les profanes
voient l’incongruité des différents cérémonials servis au peuple burkinabè et
au monde entier par ceux-là qui devraient s’en abstenir. Comment un militaire
bien habillé dans sa tenue d’officier bien visible peut-il jurer de respecter
et de faire respecter une Constitution qu’il vient de piétiner
allègrement ? N’ayant pas eu le courage d’éconduire les putschistes,
quitte à s’exposer à leur courroux, les « sages du Conseil constitutionnel »
vont devoir se soumettre pour quelque temps encore aux fouets de l’opinion et
de tous ceux qui ont des intérêts à tirer de sa malheureuse jurisprudence.
C’est dans cette brèche que certains avocats de la Défense se sont engouffrés.
Mais leur requête a très peu de chance de prospérer pour deux raisons. La
première est d’ordre juridique. Au cours d’un procès, tout accusé a le droit de
porter devant le Conseil constitutionnel toute loi qu’il estime être contraire
à la constitution. Cette possibilité de saisine doit se faire au début du
procès. Dans le cas du procès en cours, on est vers sa fin et la partie
porteuse de la requête ne conteste pas la constitutionnalité d’une loi mais s’intéresse
à une décision du Conseil constitutionnel. Par ailleurs, dans le fond du débat,
l’accession au pouvoir par coup d’Etat reste un crime reprouvé par la
Constitution, notamment ses articles 167 et 168. C’est justement ce qui
explique le tollé soulevé par l’attitude très opportuniste, voire couarde du
Conseil constitutionnel et qui le met au pilori. La deuxième raison est plus politique. Quelle
autorité (politique, judiciaire) peut-elle dans le contexte du Burkina Faso
supporter le poids de l’interruption du procès Sankara ? Il faut une dose
exceptionnelle de folie pour prendre une telle décision. Il faut néanmoins
attendre de voir. Les
« sages » du Conseil constitutionnel peuvent encore surprendre tout
le monde avec une nouvelle jurisprudence.
Ibrahima Cabral