L’accord
de coopération militaire, signé le 17 décembre 2018, entre le Burkina et la
France, est bancal. Il accorde de gros privilèges aux soldats français. Et
porte, du même coup, atteinte à la souveraineté du Burkina Faso. La haute
hiérarchie de l’Armée burkinabè avait pourtant émis d’importantes réserves, le
9 janvier 2015, au moment de la signature du précédent accord. Accusant même la
France de vouloir l’embarquer, de façon injuste, sur des terrains glissants.
Mais le gouvernement a finalement fait passer la pilule. Il avait, bien avant
la signature de l’accord, tenté d’infléchir, à travers une note confidentielle,
la position des Officiers supérieurs : «La conjoncture nationale actuelle
suscite à n'en pas douter, encore plus de frilosité face à la signature d'un
tel accord», avait-il affirmé. Mais «cette évidence ne devrait pas nous faire
perdre de vue, dit-il, les enjeux sécuritaires majeurs que court notre pays
face aux actes des groupes terroristes dans la bande sahélo-saharienne».
L’argument était donc tout trouvé : lutte contre le terrorisme ! «Il
serait (donc) souhaitable, à l'étape actuelle, de procéder à la signature de
l'accord, quitte à ré-ouvrir, par la suite, de nouvelles négociations aux fins
de le réévaluer et de l'amender», précise la note. Mais, en décembre 2018,
alors qu’on s’attendait à ce que l’accord à problèmes soit revu «de fond en
comble», ils ont encore cloué au pilori la «souveraineté» du Burkina. Ce jeu de
massacre s’est produit en présence du Président Kaboré et de la ministre
française des Armées, Florence Parly.
Premier point: quels que soient les actes que
les soldats français viendraient à commettre au Burkina, ils jouissent d’une
totale immunité. L’article 4 de l’accord le dit, sans détour : «Pendant la
durée de leur présence sur le territoire de la Partie burkinabè, les Eléments
des Forces armées françaises (EFAF) bénéficient des immunités et privilèges suivants» :
aucun d’entre eux ne doit être arrêté, détenu ou traduit devant une
juridiction. Le point b de l’article 4 est bien précis : «Immunité de
toute juridiction en ce qui concerne les actes accomplis pendant la durée de la
mission (y compris leurs paroles et écrits). Cette immunité continue à être
accordée même après que le membre des EFAF a cessé de remplir sa mission (…)».
Il est même pratiquement interdit au Burkina, pour des besoins sécuritaires par
exemple, de procéder à la vérification d’éventuels documents qu’ils
détiendraient au cours de la mission. Interdit aussi de «saisir» leurs bagages
personnels. Et même si jamais, le Burkina venait à interpeler l’un d’entre eux,
au moment où il est en train de commettre un «crime» ou un «délit», l’accord
est catégorique : il faut le remettre «immédiatement» aux autorités
françaises. La France se chargera, elle-même, de voir quelle suite donner à
l’affaire. Elle informera, à ce sujet, le Burkina.
Que certains d’entre eux en viennent, par
exemple, à violer des mineurs comme cela a été le cas dans certains pays, il
jouissent d’une totale immunité au Burkina ! Que leurs actions provoquent
des dégâts importants ? Immunité totale également ! Pas la peine de
penser à une quelconque action en Justice de la part du gouvernement burkinabè.
Notre pays ne pourra engager aucun recours contre la partie française en cas de
dommages matériels ou de dommage sur son personnel. Même lorsque cela aura
entrainé des morts. C’est ce que dit l’article 12: «Chaque partie renonce
à tout recours qu’elle pourrait avoir contre l’autre Partie, les forces ou un
personnel de cette Partie pour les dommages causés à ses biens ou à son
personnel, y compris ceux ayant entrainé la mort, en raison d’actes ou de
négligences dans l’exercice des fonctions officielles qui découlent du présent
accord (…)». La donne peut quelque peu changer en cas de «faute lourde ou
intentionnelle». Mais même là, le point 2 de l’article 4 indique que même si
les autorités burkinabè appréhendent un élément des Forces armées françaises,
elles n’auront aucune marge de manœuvre. Si ce n’est «aviser aussitôt les
autorités françaises et remettre immédiatement l’intéressé à celles-ci». Mais
que dit l’accord si un militaire burkinabè, pour quelque raison que ce soit,
est appréhendé par la Partie française ? Les mêmes privilèges ne lui sont
pas appliqués. Tout peut donc lui arriver ! Pas la peine de tergiverser.
L’accord a été signé en présence du Président Kaboré ! Ce dernier a bien
parcouru le document et il a donné son feu vert au ministre de la Défense de
l’époque, Jean-Claude Bouda, d’apposer sa signature.
Dans la haute sphère de l’Armée, une autre
disposition suscite de grosses interrogations. Si jamais, une tierce personne
venait à intenter une action judiciaire suite à des actes posés par des soldats
français, l’article 12 est conçu de sorte à dégager la responsabilité de la
Partie française. Et fait porter la casquette au Burkina. Même si la
responsabilité de notre pays n’est nullement engagée dans la commission des
actes incriminés. Morceau choisi de l’accord : «En cas d’action judiciaire
intentée par un tiers, la Partie burkinabè se substitue à la Partie française
devant les instances compétentes du Burkina Faso». Et en cas de condamnation
définitive, précise le texte, «les parties déterminent la répartition entre
elles de la prise en charge des indemnités prononcées, conformément aux règles énoncées
au point 3». Et même là, le Burkina risque de délier le cordon de la bourse
s’il est condamné devant les juridictions. A moins qu’il y ait des arrangements
internes pour que la France mette aussi la main à la poche.
Et ce n’est pas tout. Article 8 : les
éléments des Forces armées françaises peuvent faire, en dehors des zones de
restriction, tout mouvement important sur le territoire burkinabè. Ils n'ont
pas besoin pour cela d'autorisation préalable du Burkina; il suffit juste
d'"informer" la partie burkinabè. Ils sont, à ce titre, «autorisés à
utiliser les voies ferrées, routes, ponts, transbordeurs et aéroports en
exemption des redevances, péages, taxes ou droits similaires, à l’exception des
taxes pour service rendu». Et même concernant les exercices et entrainements
comportant des tirs, le Burkina n’est fondé à autoriser quoi que ce soit. Selon
l’accord, la partie française doit simplement informer la partie burkinabè. Pas
question pour le Burkina de s’y opposer. Juste quelques vagues
indications : si ces exercices et entrainements doivent comporter des
«vols d‘aéronefs à basse altitude», il est préconisé qu’ils se déroulent
«suffisamment loin des zones urbaines pour éviter les désagréments qui pourraient
en résulter pour les populations». Et c’est tout !
Article
9 : «Les membres des EFAF sont autorisés à détenir et à porter l'armement
et les munitions nécessaires à l'accomplissement de leur mission». Nulle part,
il n'est écrit que le Burkina peut procéder à un contrôle en cas de nécessité
ou d’urgence.
Cet accord, qui contient, selon des sources
militaires burkinabè, des dispositions gênantes, a été conclu «pour une durée
d’un an, tacitement renouvelable». Il est prévu un bilan de la mise en œuvre
tous les deux ans. Le rendez-vous était donc fixé en décembre 2020. «Mais à
cause de la situation de COVID, l’évaluation n’a pu avoir lieu», indique une
source militaire. Il importe, dit-il, de «réactualiser l’accord en l’extirpant
des dispositions qui menacent la souveraineté de l’Etat burkinabè». «Je ne
crois pas que la France acceptera, une seule seconde, qu’un détachement de
militaires burkinabè se comporte ainsi sur son sol. Déjà, à votre arrivée dans
ce pays, les services de sécurité procède à des fouilles pour s’assurer que
vous ne portez pas de risque susceptible de perturber la quiétude des
Français». On peut, dit-il, «travailler en parfaite coopération contre les
mouvements terroristes dans le respect de la souveraineté des Etats-parties». Cette
opinion est partagée par plusieurs sources militaires de haut rang.
Le Président Kaboré et son Premier ministre
vont-ils œuvrer à réparer le «tort» ? Cette question, lourde de sens, est
à la recherche d’une réponse pour le moment introuvable.