L’histoire est têtue, dit-on. Ceux qui ont
commandité ou exécuté le coup d’Etat sanglant du 15 octobre ont fait la pluie
et le beau temps au pays des hommes intègres. Après avoir volé de nombreuses
vies humaines dont celle du Président du Faso, Thomas Sankara, privé de
nombreux enfants de leurs géniteurs et plongé de nombreuses familles dans un
désarroi total, ils se plaisaient à trouver des arguments pour justifier leur
crime, au micro de journalistes. Et puis vient un jour où, brusquement, la roue
a tourné et ils doivent s’expliquer devant le tribunal militaire. Des témoins
de la scène existent. Leurs versions de l’histoire mettent en difficulté les
mis en cause et convainquent le juge d’instruction à retenir contre eux,
« les faits d’assassinat ». Certains mis en examen parlent et donnent
des détails. Morceau choisi : « Ilboudo Yamba Elysée qui reconnait sa
pleine participation le confirme et apporte des précisions sur le déroulement
et les autres éléments du commando… ». Et ce n’est pas tout !
Sur les faits d’assassinat
Attendu
que Ouédraogo Nabonsséouindé, Nacoulma Wampasba, Diendéré Gilbert, Sawadogo
Idrissa, Ilboudo Yamba Elysée, Kafando Tousma Hyacinthe sont mis en examen pour
assassinat sur les personnes de Thomas Isidore Noël Sankara, Bationo Emmanuel,
Sawadogo Noufou, Gouem Abdoulaye, Ouédraogo Walilaye, Soré Paténéma, Sawadogo
Hamado, Somda Der, Kompaoré Bonaventure ;
Attendu
que les faits reprochés à Ouédraogo Nabonsséouindé, Nacoulma Wampasba
initialement poursuivis sous les qualifications d’assassinat et de complicité
d’assassinat en réalité le seul crime d’assassinat des mêmes victimes ;
Attendu
qu’au sens des dispositions des articles 296, 297, 298, 302 du Code pénal de
1984 et des articles 512-11 et 512-15 du Code pénal actuel, le meurtre commis
avec préméditation ou guet-apens est qualifié d’assassinat ;
Attendu
que le meurtre est un homicide commis volontairement, l’homicide, le fait de
donner volontairement la mort à un être humain caractérisé par l’état de la
personne dont le système cérébral peut être considéré par des artériographies
ou artériotomie, et par des électroencéphalogrammes convergeant, comme étant
irrémédiablement détruit ; que le meurtre prend la qualification
d’assassinat lorsqu’il est prévu et pensé à l’avance ou quand l’auteur a
attendu sa victime dans un lieu dans le but de lui donner la mort ;
Attendu
que la réalisation de cette infraction exige non seulement les éléments
constitutifs du meurtre à savoir :
-
un acte positif de donner la mort
-
un résultat, donner la mort à autrui
- une intention de donner la mort, la
conscience que l’auteur a de son acte et la volonté de voir survenir la mort de
la victime de ce fait
Mais
aussi :
- une préméditation ou un guet-apens
Que
la préméditation consiste dans le dessein formé avant l’action d’attenter à la
vie d’autrui, une personne déterminée ou non ; que le guet-apens consiste
à attendre, pendant un certain temps dans un lieu déterminé, un individu pour
lui donner la mort ;
Attendu
qu’il est constant que le 15 octobre 1987, le Président du Faso, le Capitaine
Thomas Sankara, Bamouni Babou Paulin, Kiemdé Frédéric, Zagré Sibiri Patrice,
Saba Christophe, Bationo Emmanuel, Sawadogo Noufou, Gouem Abdoulaye, Ouédraogo
Walilaye, Soré Paténéma, Sawadogo Hamado, Somda Der, Kompaoré Bonaventure ont
été froidement abattus par arme à feu, au secrétariat du CNR, alors qu’ils étaient
en réunion de travail, par un commando conduit par Kafando Hyacinthe, à bord de
deux véhicules, une Galante et une Peugeot 504 ; que préalablement
embusqués à l’intérieur du Conseil, après être venus du domicile de Compaoré
Blaise sis à côté des anciens locaux de l’Assemblée nationale, selon les
déclarations de Ilboudo Yamba Elysée, un des mis en cause ; que les
victimes et leurs éléments de sécurité n’ont eu aucune chance de riposte ;
qu’en effet le commando tirait en premier sur les éléments de sécurité postés
hors de la salle de réunion, obligeant le Présidant Sankara à sortir suivi des
autres participants à la réunion, pour être abattus devant l’entrée ; que
l’emploi d’armes de guerre et l’atrocité des tirs confirmés par l’expertise
balistique témoignent de la volonté de tuer des assaillants ; qu’en effet
l’expertise balistique conclut que les armes susceptibles de tirer les types de
munitions retrouvées dans les restes exhumés sont ceux de fusils d’assaut
Kalachnikov pour les munitions 7,62 mm kalachnikov et HK G3 pour les munitions de calibre 7,62
OTAN, les pistolets semi-automatiques (PA) et les pistolets mitrailleurs de
calibre 9 mm pour les munitions 9 mm parabellum ; que le rapport précise
que les orifices d’entrée (entrée et sortie) causés par des projectiles d’armes à feu ont pu être
déterminés chez les personnes (victimes) dont Sawadogo Noufou, Sawadogo Hamadé,
Sankara Thomas Isidore Noël, Somda Der, Ouédraogo Walilaye, Bationo Emmanuel,
Saba Christophe et Kompaoré Bonaventure ;
Que
l’instruction permettait d’établir que Ouédraogo Nabonsséouindé, Nacoulma
Wampasba, Sawadogo Idrissa, Ilboudo
Yamba Elysée, Kafando Tousma Hyacinthe en fuite et d’autres personnes
aujourd’hui décédées sont les auteurs des tirs meurtriers ;
Que
tous les témoignages concordent, en effet, à dire que Kafando Tousma Hyacinthe
était le chef du commando ; Ilboudo Yamba Elysée qui reconnait sa pleine
participation le confirme et apporte des précisions sur le déroulement et les
autres éléments du commando en ces termes : « le 15 octobre 1987 vers
16 heures, on était au domicile de Blaise Compaoré, derrière l’Assemblée
nationale. Lui-même il était à l’intérieur de sa maison. Kafando Hyacinthe,
Nabié N’Soni, Ouédraogo Arzouma dit Otis et Maiga Hamidou sont sortis de la
maisonnette dans laquelle on dormait quand on est de service et où on gardait
nos affaires et qui est collée à la cour de Blaise Compaoré. Hyacinthe Kafando
a dit un tel, un tel embarqué, on part au Conseil. Nabonsséouindé, Nacoulma
Wampasba, Sawadogo Idrissa ont embarqués, mais il y avait d’autres personnes
dont je ne me souviens pas. Les gens ont embarqué dans deux véhicules. J’étais
chauffeur, Hyacinthe m’a dit de démarrer. Il était mon chef de bord avec
Idrissa et Nabonsséouindé derrière. Maiga Hamidou conduisait l’autre véhicule
et était devant et moi je suivais avec la Galante rouge. Maïga Hamidou avait la
504 blanche de Blaise Compaoré avec Nabié N’Soni et Ouédraogo Otis dedans plus
d’autres personnes. Quand on a démarré, on a fait le tour comme si on sortait.
Maiga Hamidou a virgulé aller bloquer son véhicule devant la porte de la salle
de réunion où était le Président Sankara avec des gens. Hyacinthe a tiré mon
volant et m’a dit de suivre Maïga. J’ai braqué et notre véhicule est allé
cogner le couloir se bloquer. Le radiateur d’eau et l’huile ont coulé. Ils sont
descendus et ont dit de tirer. Maïga est rentré dans le couloir où il y a le
standard. Hyacinthe est parti de l’autre côté. Les autres qui sont descendus
ont tourné derrière le bâtiment, et là-bas ça tirait aussi. Quand c’est fini,
hyacinthe a dit qu’on va retourner amener Blaise Compaoré, qu’eux, ils ont fini
leur travail. »
Que
les mêmes acteurs ont été identifiés par de nombreux témoignages
concordants ; qu’il en est ainsi de Zidouemba Rimbessom Claude François,
ex-garde de corps de Sankara et rescapé de la tuerie déclare (I-106, p2),
Ilboudo Laurent (I-50, p2) réitéré lors des confrontations (I-223)
Qu’il
est également constant que l’action du commando était préparée des jours à
l’avance ; que nombre de personnes étaient au courant que dans
l’après-midi du 15 octobre quelque chose allait se passer contre le président
Sankara, mais que celui-ci refusait d’admettre
et de prendre des mesures contre son ami Compaoré Blaise donné pour
celui qui allait s’en prendre à lui ; que tous les membres du commando
faisaient partie de sa grade personnelle ;
Que
Blaise Compaoré lui-même soutenait à diverses occasions y compris dans son
discours du 19 octobre 1987, que c’était soit lui soit Thomas Sankara ;
qu’il soutenait que Sankara avait prévu de les faire arrêter à 20 heures et que
leurs éléments ont entrepris de le devancer en l’arrêtant en premier mais que
cela a mal tourné ; que l’instruction a établi que cet argument n’avait
aucun fondement et qu’il était faux ;
Qu’à
ce sujet, la retranscription d’une interview du 7 juillet 1988 de Diendéré
Gilbert, adjoint à l’époque de Compaoré Blaise, réalisée et publiée par Ludo Martens
dans son ouvrage Sankara, Compaoré et la révolution d’août, celui-ci aurait
confessé que : « Comme les soldats de la garde présidentielle
appartiennent à notre bataillon, tous n’étaient pas partisans de
l’affrontement. Ainsi le chauffeur de Sankara, le caporal Der et d’autres sont
venus nous prévenir que Compaoré, Lengani et Zongo seraient arrêtés ce soir.
Pendant la réunion de l’OMR, le Conseil serait encerclé par les troupes de la
FIMATS et de l’ETIR. Un groupe de militaires devrait mettre les trois en état
d’arrestation, tandis que le gros des forces devrait se tenir prêt à toute
éventualité. Bien qu’on ne nous ait pas exactement parlé de liquider les trois,
nous étions convaincus qu’une tuerie ne pourrait être évitée. Les trois ne se
laisseraient pas prendre sans réagir et des hommes comme Sigué et Koama
n’hésiteraient pas une seconde à les descendre » … « Notre réaction a
été qu’il fallait arrêter Sankara avant que l’irréparable ne se produise. La
décision a été prise dans un climat général d’inquiétude proche de la panique.
Nous n’avions pas vraiment de choix. Nous n’avons jamais pu croire que Sankara
allait s’en prendre à ses trois compagnons. Blaise était à la maison, malade.
Nous n’avons pas voulu le prévenir parce que nous savions qu’il ne serait pas
d’accord pour arrêter Sankara. C’était une décision grave, mais il faut
imaginer la panique qui régnait à ce moment parmi nos soldats » ; …
« Nous savions que Sankara avait une réunion au Conseil à 16 heures et
nous avons décidé d’aller l’arrêter là-bas. Nous n’avions évacué personne au
Conseil. Tous les travailleurs civils sont restés. C’est seulement quand ça
tiré que beaucoup d’entre eux ont pris la fuite. Peu après 16 heures, la
Peugeot 205 de Sankara et une voiture de sa garde sont arrivées devant la porte
du pavillon ; une deuxième voiture de sa garde est allée stationner plus
loin. Nous avons encerclé les voitures. Sankara était en tenue de sport. Il
tenait comme toujours son arme, un pistolet automatique à la main. Il a
immédiatement tiré et tué un des nôtres. A ce moment, tous les hommes se sont
déchaînés, tout le monde a fait feu et la situation a échappé à tout contrôle.
Des personnes qui l’attendaient à l’intérieur du bâtiment sont venues à sa
rencontre ; d’autres sont sorties quand elles ont entendu des coups de
feu. Parmi ceux qui sont tombés, il y avait Patrice Zagré, un homme avec qui
nous avons beaucoup travaillé et dont tout le monde a regretté la mort. Les
gardes du corps de Sankara dans la deuxième voiture n’avaient pas réagi ;
ils ont simplement été désarmés ». Interrogé par le magistrat instructeur,
Diendéré Gilbert réplique que ses propos ont été mal transcrits par ce
journaliste qu’il avait rencontré et lui avait expliqué dans une causerie à bâton
rompu que c’était ce que les hommes lui avaient dit, ajoutant qu’il n’avait pas
eu connaissance de la transcription avant ; qu’ayant eu connaissance de la
retranscription peut-être dix ans après ou plus, il n’a pas apporté de démenti,
jusqu’à présent, parce que ce monsieur il ne savait plus où il était, il
l’avait perdu de vue ;
Que
de propos recueillis de Blaise Compaoré le 05 novembre 1987 dans une
conversation privée, il ressort ceci : « Cette tension n’a pu être
apaisée lors de la réunion du jeudi 15 octobre au matin, réunion organisée par
le responsable de la sécurité du Conseil. Elle devait dégénérer dans
l’après-midi lorsque les éléments de la sécurité du Conseil, opposés à
l’exécution du complot de 20 heures, décidèrent de prendre les devants » ;
qu’à une question du magistrat instructeur, Diendéré Gilbert reconnaissait que
c’est de lui dont Blaise faisait allusion en parlant du responsable de la
sécurité. C« comme j’ai la dernière fois, il y a eu une réunion organisée
le 15 octobre le matin, pour faire des propositions de sortie de crise ; …
comme je l’ai dit il y avait beaucoup de rumeurs qui circulaient dans le pays.
A la réunion, nous n’avons pas parlé expressément du complot de 20 heures. Nous
savions qu’il y avait des tensions au niveau des deux sécurités et ce sont ces
tensions que nous avons essayé de faire baisser (I-455, I-457, I-414) »
Que
d’autres part, face aux difficultés d’identifier spécifiquement
individuellement les auteurs directs des tueries du 15 octobre 1987 au Conseil
de l’entente, tous les membres du commando et leurs commanditaires sont tenus pénalement
responsables des autres conséquences au sens de l’article 313-6 et suivant du
Code pénal, et ce, soit à titre principal, soit à titre de complice, en
l’espèce à titre principal, en vertu du principe d’emprunt de criminalité, une
exception au principe de l’individualisation de la responsabilité pénale ;
Qu’à
supposer avérées les déclarations de Diendéré Gilbert, il n’apparaît nulle
part, qu’il a pris les mesures pour empêcher la survenue de tels évènements,
alors qu’il avait l’autorité, la responsabilité et le contrôle des membres du
commando et était bien au courant de l’action envisagée ; que la
responsabilité du chef, commandant, tient au fait soit qu’il a la
responsabilité ou le contrôle de ses hommes, soit qu’il le savait ou qu’il
avait des raisons ou des moyens de le savoir et ne pas avoir agi en conséquence
pourrait être assimilé à un manquement grave caractéristique tout au moins de
complicité ;
Que
tel que démontré plus haut, et contrairement à ses propres déclarations,
Diendéré Gilbert était bien présent au Conseil de l’entente au moment des
tirs ; que bien qu’il ne fût pas du commando qui a exécuté matériellement
les faits, sa responsabilité est engagée ;
Qu’au
demeurant, comme le relève la jurisprudence internationale, « le fait pour
un accusé de voir sa responsabilité engagée (…) ne fait obstacle à une
déclaration additionnelle ou alternative de culpabilité en qualité de chef
militaire ou de personne faisant fonction de chef militaire (…), les deux (02) formes de
responsabilité ne s’excluent pas mutuellement (…). L’examen de chacune des deux
formes de responsabilité s’impose plutôt pour rendre pleinement compte de la
culpabilité de l’accusé à la lumière des faits » ;
Attendu
qu’il échet de dire que les faits d’assassinat mis à la charge de Ouédraogo
Nabonsséouindé, Nacoulma Wampasba, Diendéré Gilbert, Sawadogo Idrissa, Ilboudo
Yamba Elysée, Kafando Tousma Hyacinthe sont constitués.
Sources :
Ordonnance du Juge d’instruction