Coup d'Etat du 15 Octobre 1987 : à propos de l'assassinat

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Coup d'Etat du 15 Octobre 1987 : à propos de l'assassinat

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L’histoire est têtue, dit-on. Ceux qui ont commandité ou exécuté le coup d’Etat sanglant du 15 octobre ont fait la pluie et le beau temps au pays des hommes intègres. Après avoir volé de nombreuses vies humaines dont celle du Président du Faso, Thomas Sankara, privé de nombreux enfants de leurs géniteurs et plongé de nombreuses familles dans un désarroi total, ils se plaisaient à trouver des arguments pour justifier leur crime, au micro de journalistes. Et puis vient un jour où, brusquement, la roue a tourné et ils doivent s’expliquer devant le tribunal militaire. Des témoins de la scène existent. Leurs versions de l’histoire mettent en difficulté les mis en cause et convainquent le juge d’instruction à retenir contre eux, « les faits d’assassinat ». Certains mis en examen parlent et donnent des détails. Morceau choisi : « Ilboudo Yamba Elysée qui reconnait sa pleine participation le confirme et apporte des précisions sur le déroulement et les autres éléments du commando… ». Et ce n’est pas tout !

Sur les faits d’assassinat

Attendu que Ouédraogo Nabonsséouindé, Nacoulma Wampasba, Diendéré Gilbert, Sawadogo Idrissa, Ilboudo Yamba Elysée, Kafando Tousma Hyacinthe sont mis en examen pour assassinat sur les personnes de Thomas Isidore Noël Sankara, Bationo Emmanuel, Sawadogo Noufou, Gouem Abdoulaye, Ouédraogo Walilaye, Soré Paténéma, Sawadogo Hamado, Somda Der, Kompaoré Bonaventure ;

Attendu que les faits reprochés à Ouédraogo Nabonsséouindé, Nacoulma Wampasba initialement poursuivis sous les qualifications d’assassinat et de complicité d’assassinat en réalité le seul crime d’assassinat des mêmes victimes ;

Attendu qu’au sens des dispositions des articles 296, 297, 298, 302 du Code pénal de 1984 et des articles 512-11 et 512-15 du Code pénal actuel, le meurtre commis avec préméditation ou guet-apens est qualifié d’assassinat ;

Attendu que le meurtre est un homicide commis volontairement, l’homicide, le fait de donner volontairement la mort à un être humain caractérisé par l’état de la personne dont le système cérébral peut être considéré par des artériographies ou artériotomie, et par des électroencéphalogrammes convergeant, comme étant irrémédiablement détruit ; que le meurtre prend la qualification d’assassinat lorsqu’il est prévu et pensé à l’avance ou quand l’auteur a attendu sa victime dans un lieu dans le but de lui donner la mort ;

Attendu que la réalisation de cette infraction exige non seulement les éléments constitutifs du meurtre à savoir :

-          un acte positif de donner la mort

-          un résultat, donner la mort à autrui

-     une intention de donner la mort, la conscience que l’auteur a de son acte et la volonté de voir survenir la mort de la victime de ce fait

Mais aussi :

-        une préméditation ou un guet-apens

Que la préméditation consiste dans le dessein formé avant l’action d’attenter à la vie d’autrui, une personne déterminée ou non ; que le guet-apens consiste à attendre, pendant un certain temps dans un lieu déterminé, un individu pour lui donner la mort ;

Attendu qu’il est constant que le 15 octobre 1987, le Président du Faso, le Capitaine Thomas Sankara, Bamouni Babou Paulin, Kiemdé Frédéric, Zagré Sibiri Patrice, Saba Christophe, Bationo Emmanuel, Sawadogo Noufou, Gouem Abdoulaye, Ouédraogo Walilaye, Soré Paténéma, Sawadogo Hamado, Somda Der, Kompaoré Bonaventure ont été froidement abattus par arme à feu, au secrétariat du CNR, alors qu’ils étaient en réunion de travail, par un commando conduit par Kafando Hyacinthe, à bord de deux véhicules, une Galante et une Peugeot 504 ; que préalablement embusqués à l’intérieur du Conseil, après être venus du domicile de Compaoré Blaise sis à côté des anciens locaux de l’Assemblée nationale, selon les déclarations de Ilboudo Yamba Elysée, un des mis en cause ; que les victimes et leurs éléments de sécurité n’ont eu aucune chance de riposte ; qu’en effet le commando tirait en premier sur les éléments de sécurité postés hors de la salle de réunion, obligeant le Présidant Sankara à sortir suivi des autres participants à la réunion, pour être abattus devant l’entrée ; que l’emploi d’armes de guerre et l’atrocité des tirs confirmés par l’expertise balistique témoignent de la volonté de tuer des assaillants ; qu’en effet l’expertise balistique conclut que les armes susceptibles de tirer les types de munitions retrouvées dans les restes exhumés sont ceux de fusils d’assaut Kalachnikov pour les munitions 7,62 mm kalachnikov  et HK G3 pour les munitions de calibre 7,62 OTAN, les pistolets semi-automatiques (PA) et les pistolets mitrailleurs de calibre 9 mm pour les munitions 9 mm parabellum ; que le rapport précise que les orifices d’entrée (entrée et sortie) causés par  des projectiles d’armes à feu ont pu être déterminés chez les personnes (victimes) dont Sawadogo Noufou, Sawadogo Hamadé, Sankara Thomas Isidore Noël, Somda Der, Ouédraogo Walilaye, Bationo Emmanuel, Saba Christophe et Kompaoré Bonaventure ;

Que l’instruction permettait d’établir que Ouédraogo Nabonsséouindé, Nacoulma Wampasba,  Sawadogo Idrissa, Ilboudo Yamba Elysée, Kafando Tousma Hyacinthe en fuite et d’autres personnes aujourd’hui décédées sont les auteurs des tirs meurtriers ;

Que tous les témoignages concordent, en effet, à dire que Kafando Tousma Hyacinthe était le chef du commando ; Ilboudo Yamba Elysée qui reconnait sa pleine participation le confirme et apporte des précisions sur le déroulement et les autres éléments du commando en ces termes : « le 15 octobre 1987 vers 16 heures, on était au domicile de Blaise Compaoré, derrière l’Assemblée nationale. Lui-même il était à l’intérieur de sa maison. Kafando Hyacinthe, Nabié N’Soni, Ouédraogo Arzouma dit Otis et Maiga Hamidou sont sortis de la maisonnette dans laquelle on dormait quand on est de service et où on gardait nos affaires et qui est collée à la cour de Blaise Compaoré. Hyacinthe Kafando a dit un tel, un tel embarqué, on part au Conseil. Nabonsséouindé, Nacoulma Wampasba, Sawadogo Idrissa ont embarqués, mais il y avait d’autres personnes dont je ne me souviens pas. Les gens ont embarqué dans deux véhicules. J’étais chauffeur, Hyacinthe m’a dit de démarrer. Il était mon chef de bord avec Idrissa et Nabonsséouindé derrière. Maiga Hamidou conduisait l’autre véhicule et était devant et moi je suivais avec la Galante rouge. Maïga Hamidou avait la 504 blanche de Blaise Compaoré avec Nabié N’Soni et Ouédraogo Otis dedans plus d’autres personnes. Quand on a démarré, on a fait le tour comme si on sortait. Maiga Hamidou a virgulé aller bloquer son véhicule devant la porte de la salle de réunion où était le Président Sankara avec des gens. Hyacinthe a tiré mon volant et m’a dit de suivre Maïga. J’ai braqué et notre véhicule est allé cogner le couloir se bloquer. Le radiateur d’eau et l’huile ont coulé. Ils sont descendus et ont dit de tirer. Maïga est rentré dans le couloir où il y a le standard. Hyacinthe est parti de l’autre côté. Les autres qui sont descendus ont tourné derrière le bâtiment, et là-bas ça tirait aussi. Quand c’est fini, hyacinthe a dit qu’on va retourner amener Blaise Compaoré, qu’eux, ils ont fini leur travail. »

Que les mêmes acteurs ont été identifiés par de nombreux témoignages concordants ; qu’il en est ainsi de Zidouemba Rimbessom Claude François, ex-garde de corps de Sankara et rescapé de la tuerie déclare (I-106, p2), Ilboudo Laurent (I-50, p2) réitéré lors des confrontations (I-223)

Qu’il est également constant que l’action du commando était préparée des jours à l’avance ; que nombre de personnes étaient au courant que dans l’après-midi du 15 octobre quelque chose allait se passer contre le président Sankara, mais que celui-ci refusait d’admettre  et de prendre des mesures contre son ami Compaoré Blaise donné pour celui qui allait s’en prendre à lui ; que tous les membres du commando faisaient partie de sa grade personnelle ;

Que Blaise Compaoré lui-même soutenait à diverses occasions y compris dans son discours du 19 octobre 1987, que c’était soit lui soit Thomas Sankara ; qu’il soutenait que Sankara avait prévu de les faire arrêter à 20 heures et que leurs éléments ont entrepris de le devancer en l’arrêtant en premier mais que cela a mal tourné ; que l’instruction a établi que cet argument n’avait aucun fondement et qu’il était faux ;

Qu’à ce sujet, la retranscription d’une interview du 7 juillet 1988 de Diendéré Gilbert, adjoint à l’époque de Compaoré Blaise, réalisée et publiée par Ludo Martens dans son ouvrage Sankara, Compaoré et la révolution d’août, celui-ci aurait confessé que : « Comme les soldats de la garde présidentielle appartiennent à notre bataillon, tous n’étaient pas partisans de l’affrontement. Ainsi le chauffeur de Sankara, le caporal Der et d’autres sont venus nous prévenir que Compaoré, Lengani et Zongo seraient arrêtés ce soir. Pendant la réunion de l’OMR, le Conseil serait encerclé par les troupes de la FIMATS et de l’ETIR. Un groupe de militaires devrait mettre les trois en état d’arrestation, tandis que le gros des forces devrait se tenir prêt à toute éventualité. Bien qu’on ne nous ait pas exactement parlé de liquider les trois, nous étions convaincus qu’une tuerie ne pourrait être évitée. Les trois ne se laisseraient pas prendre sans réagir et des hommes comme Sigué et Koama n’hésiteraient pas une seconde à les descendre » … « Notre réaction a été qu’il fallait arrêter Sankara avant que l’irréparable ne se produise. La décision a été prise dans un climat général d’inquiétude proche de la panique. Nous n’avions pas vraiment de choix. Nous n’avons jamais pu croire que Sankara allait s’en prendre à ses trois compagnons. Blaise était à la maison, malade. Nous n’avons pas voulu le prévenir parce que nous savions qu’il ne serait pas d’accord pour arrêter Sankara. C’était une décision grave, mais il faut imaginer la panique qui régnait à ce moment parmi nos soldats » ; … « Nous savions que Sankara avait une réunion au Conseil à 16 heures et nous avons décidé d’aller l’arrêter là-bas. Nous n’avions évacué personne au Conseil. Tous les travailleurs civils sont restés. C’est seulement quand ça tiré que beaucoup d’entre eux ont pris la fuite. Peu après 16 heures, la Peugeot 205 de Sankara et une voiture de sa garde sont arrivées devant la porte du pavillon ; une deuxième voiture de sa garde est allée stationner plus loin. Nous avons encerclé les voitures. Sankara était en tenue de sport. Il tenait comme toujours son arme, un pistolet automatique à la main. Il a immédiatement tiré et tué un des nôtres. A ce moment, tous les hommes se sont déchaînés, tout le monde a fait feu et la situation a échappé à tout contrôle. Des personnes qui l’attendaient à l’intérieur du bâtiment sont venues à sa rencontre ; d’autres sont sorties quand elles ont entendu des coups de feu. Parmi ceux qui sont tombés, il y avait Patrice Zagré, un homme avec qui nous avons beaucoup travaillé et dont tout le monde a regretté la mort. Les gardes du corps de Sankara dans la deuxième voiture n’avaient pas réagi ; ils ont simplement été désarmés ». Interrogé par le magistrat instructeur, Diendéré Gilbert réplique que ses propos ont été mal transcrits par ce journaliste qu’il avait rencontré et lui avait expliqué dans une causerie à bâton rompu que c’était ce que les hommes lui avaient dit, ajoutant qu’il n’avait pas eu connaissance de la transcription avant ; qu’ayant eu connaissance de la retranscription peut-être dix ans après ou plus, il n’a pas apporté de démenti, jusqu’à présent, parce que ce monsieur il ne savait plus où il était, il l’avait perdu de vue ;

Que de propos recueillis de Blaise Compaoré le 05 novembre 1987 dans une conversation privée, il ressort ceci : « Cette tension n’a pu être apaisée lors de la réunion du jeudi 15 octobre au matin, réunion organisée par le responsable de la sécurité du Conseil. Elle devait dégénérer dans l’après-midi lorsque les éléments de la sécurité du Conseil, opposés à l’exécution du complot de 20 heures, décidèrent de prendre les devants » ; qu’à une question du magistrat instructeur, Diendéré Gilbert reconnaissait que c’est de lui dont Blaise faisait allusion en parlant du responsable de la sécurité. C« comme j’ai la dernière fois, il y a eu une réunion organisée le 15 octobre le matin, pour faire des propositions de sortie de crise ; … comme je l’ai dit il y avait beaucoup de rumeurs qui circulaient dans le pays. A la réunion, nous n’avons pas parlé expressément du complot de 20 heures. Nous savions qu’il y avait des tensions au niveau des deux sécurités et ce sont ces tensions que nous avons essayé de faire baisser (I-455, I-457, I-414) »

Que d’autres part, face aux difficultés d’identifier spécifiquement individuellement les auteurs directs des tueries du 15 octobre 1987 au Conseil de l’entente, tous les membres du commando et leurs commanditaires sont tenus pénalement responsables des autres conséquences au sens de l’article 313-6 et suivant du Code pénal, et ce, soit à titre principal, soit à titre de complice, en l’espèce à titre principal, en vertu du principe d’emprunt de criminalité, une exception au principe de l’individualisation de la responsabilité pénale ;

Qu’à supposer avérées les déclarations de Diendéré Gilbert, il n’apparaît nulle part, qu’il a pris les mesures pour empêcher la survenue de tels évènements, alors qu’il avait l’autorité, la responsabilité et le contrôle des membres du commando et était bien au courant de l’action envisagée ; que la responsabilité du chef, commandant, tient au fait soit qu’il a la responsabilité ou le contrôle de ses hommes, soit qu’il le savait ou qu’il avait des raisons ou des moyens de le savoir et ne pas avoir agi en conséquence pourrait être assimilé à un manquement grave caractéristique tout au moins de complicité ;

Que tel que démontré plus haut, et contrairement à ses propres déclarations, Diendéré Gilbert était bien présent au Conseil de l’entente au moment des tirs ; que bien qu’il ne fût pas du commando qui a exécuté matériellement les faits, sa responsabilité est engagée ;

Qu’au demeurant, comme le relève la jurisprudence internationale, « le fait pour un accusé de voir sa responsabilité engagée (…) ne fait obstacle à une déclaration additionnelle ou alternative de culpabilité en qualité de chef militaire ou de personne faisant fonction de chef  militaire (…), les deux (02) formes de responsabilité ne s’excluent pas mutuellement (…). L’examen de chacune des deux formes de responsabilité s’impose plutôt pour rendre pleinement compte de la culpabilité de l’accusé à la lumière des faits » ;

Attendu qu’il échet de dire que les faits d’assassinat mis à la charge de Ouédraogo Nabonsséouindé, Nacoulma Wampasba, Diendéré Gilbert, Sawadogo Idrissa, Ilboudo Yamba Elysée, Kafando Tousma Hyacinthe sont constitués.

Sources : Ordonnance du Juge d’instruction



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